Le Rugby, Chapitre 2
Jubilation. J'ai gagné mon double paris (Angleterre - France), et mes trois compères du CTD me doivent la prochaine bouffe du CTD, champagne compris.
J'ai toujours pensé que les nations de l'hémisphère Nord n'avaient rien à envier à celles du Sud, pour peu qu'on leur donne quelques chances d'exister en temps que sélections nationales. Je m'explique :
Les saisons régulières, qui voient Blacks, Bocks et Wallabies régulièrement vaincre France et Angleterre en test matches, sont fondamentalement structurellement inégales. D'un côté, le Sud, avec son Tri-nation et son Super 14, concentrés sur des périodes relativement courtes, le reste du temps étant dédié aux sélections nationales. En gros, un All Black passe la moitié de son temps professionnel consacré à la sélection nationale. Et en cette année de Coupe du Monde, 22 d'entre eux ont même été complètement exemptés de Super 14, le championnat sudiste.
Au Nord, un rugby de clubs, aux intérêts toujours opposés à ceux de la sélection nationale. Des championnats interminables. Une Coupe d'Europe fournie, bourrée de matches de poules puis de phases à élimination directe. Et des joueurs sur les genoux dans des cadences calendaires cadenassées.
Mais expliquez-moi pourquoi des nations traditionnelles du Rugby dotées de beaucoup plus de licenciés que les nations du Sud ne pourraient-elles pas rivaliser, voire surpasser celles-ci, sur la base de leur plus grand réservoir de talents (potentiels) ? Aucune raison, si les conditions de préparation sont équivalentes. La profondeur du banc français en est un indice probant. Le Rugby est un sport d'équipe, qui demande du temps pour trouver fluidité, assurance, automatismes, et du temps pour se préparer correctement physiquement sans s'épuiser, c'est à dire sans trop se bouffer les réserves dans des matches à répétition. Dans ces conditions là, je persiste, comme je le disais déjà il y à 4 ans pour la dernière Coupe du Monde, la France ou l'Angleterre, ça vaut les Blacks et les autres, et même potentiellement, mieux qu'eux.
Cette victoire du coeur, hier à Cardiff, m'a comblé pour son exemplarité. Il y avait là toutes les données qui font du rugby, à mes yeux, le plus beau, le plus grand des sports d'équipes. Dès le début, ce défi des français en ligne nez à nez avec les Blacks en plein Haka, les adversaires finissant à 20 cm visage contre visage, je n'avais jamais vu ça, et cela m'a arraché un OUUUUUUUIIIIIII d'exultation. Il fallait voir Vincent Clerc, petit ailier grimaçant et tirant la langue, littéralement habité d'une espèce de folie, d'envie de bouffer son vis-à-vis deux fois plus grand et costaud que lui. Dès ce moment, je savais que ce serait énorme. Ce fut énormissime.
Combien de grincheux ais-je pu lire sur les commentaires de sites webs après le match, râlant que le beau rugby Black se soit fait battre par des français hargneux. Mais qu'est-ce que le beau rugby ? Oui c'est le geste génial, les coups d'éclats, l'adresse balle en main, la chistéra magique et le cadrage-débord chaloupé, mais c'est tout autant le défi physique, les rucks de fous, les placages de oufs (176 placages français hier, contre 36 blacks !!!!), le souffle terrible de la mêlée et des mauls, c'est cette dimension terriblement humaine qui rend le rugby à 15 beaucoup plus profond et intense que le rugby à 13 ou à 7.
Et par-dessus tout, ce dépassement de soi, ce don total de sa personne qui fut plus grand chez les français que chez les néo-zélandais. C'est là que ça c'est gagné, quand les Blacks avaient une mêlée plus lourde de 60 kilos, ou qu'un ailier comme Rococoko mettait KO un Betsen dur au mal et réputé meilleur plaqueur de l'hémisphère Nord, après seulement 5 minutes de jeu ; ou qu'un Ali Williams pique 6 balles en touches françaises, ce genre de turn-over qui à ce niveau suffit en général pour atomiser un adversaire. Mais voilà, l'envie d'aller au bout des français était plus forte. Et moi, j'ai autant aimé ça que le génie French Flair de Traille et Michalak qui offrent l'essai de la victoire à Jauzion et aux bleus.
Si vous n'avez jamais fait un sport vraiment dur, et dans le dur, je ne suis pas sûr que vous compreniez complètement ce que je veux dire. Je me rappelle combien je me suis senti fier il y a une dizaine d'années, un dimanche matin de cyclosportive locale, ou après 80 kilomètres de course à fond avec un peloton leader d'une quarantaine de brutes, tous finirent par craquer sauf moi et deux autres, et comment je les ai atomisés dans la dernière côte, eux, les compétiteurs engagés tous les dimanches dans les courses amateurs (avec mes 65 kg de l'époque et un punch de dératé).
Et pourtant, ce n'est pas mon meilleur souvenir, loin de là. Mon plus grand souvenir est un jour de douleur, lors de l'Etape du Tour 1995, au milieu de 7000 participants, où j'ai connu une défaillance terrible dans la montée du Tourmalet, après avoir pourtant enquillé sans problèmes 100 km de Piémont Pyrénéen, puis Peyresourde et Aspin. Dans les 25 km de cette montée du Tourmalet, sous une chaleur impossible, j'ai connu une défaillance terrible. Plus de force, mal au ventre, des étoiles dans les yeux et je ne voyais même plus la route. Je me suis arrêté 5 ou 6 fois pour tremper ma tête dans l'eau glacée et faire baisser la température des tempes battant le sang. J'aurais pu bâcher là, attendre le "bus-balai", au milieu des milliers de supporteurs espagnols qui étaient déjà installés en camping car, pour attendre Indurain, en jaune le lendemain.
Mais voilà. Ma voiture étaient dans l'autre vallée, du côté de Lourdes, et j'ai continué, en souffrant et comptant les cailloux dans cette montée terrible et interminable, et en me maudissant tous les 100 mètres "c'est trop dur, t'es vraiment trop con, ce n'est pas un sport pour toi...". Et je suis arrivé au sommet du col. Je me suis requinqué dans la descente, que j'ai fais à fond, dans les bouts-droits à 90 km/heure vers Luz St-Sauveur. J'ai terminé très loin des premiers, arrêté au bas de la dernière montée, Luz Adriden, par la maréchaussée de service, pour cause de blocage de route encombrée de public (le russe Botcharov, qui est passé pro plus tard, était passé en premier 2 bonnes heures avant moi). Le lendemain matin, je devais prendre un avion à 6 heures, en route pour le boulot vers les US.
Et voilà, cela reste mon plus grand souvenir en tant qu'individu confronté à lui-même et à ses limites, que je ne connaissais pas. Jamais je n'ai eu autant mal de ma vie, mais je n'ai pas lâché. C'était ma victoire la plus importante. C'est encore aujourd'hui mon plus grand souvenir de cycliste. J'ai pensé à ça, quand j'ai vu ces français arc-boutés en défense sur leur ligne à Cardiff. Je les aimés pour ça, et en plus, ils ont gagné.
J'ai toujours pensé que les nations de l'hémisphère Nord n'avaient rien à envier à celles du Sud, pour peu qu'on leur donne quelques chances d'exister en temps que sélections nationales. Je m'explique :
Les saisons régulières, qui voient Blacks, Bocks et Wallabies régulièrement vaincre France et Angleterre en test matches, sont fondamentalement structurellement inégales. D'un côté, le Sud, avec son Tri-nation et son Super 14, concentrés sur des périodes relativement courtes, le reste du temps étant dédié aux sélections nationales. En gros, un All Black passe la moitié de son temps professionnel consacré à la sélection nationale. Et en cette année de Coupe du Monde, 22 d'entre eux ont même été complètement exemptés de Super 14, le championnat sudiste.
Au Nord, un rugby de clubs, aux intérêts toujours opposés à ceux de la sélection nationale. Des championnats interminables. Une Coupe d'Europe fournie, bourrée de matches de poules puis de phases à élimination directe. Et des joueurs sur les genoux dans des cadences calendaires cadenassées.
Mais expliquez-moi pourquoi des nations traditionnelles du Rugby dotées de beaucoup plus de licenciés que les nations du Sud ne pourraient-elles pas rivaliser, voire surpasser celles-ci, sur la base de leur plus grand réservoir de talents (potentiels) ? Aucune raison, si les conditions de préparation sont équivalentes. La profondeur du banc français en est un indice probant. Le Rugby est un sport d'équipe, qui demande du temps pour trouver fluidité, assurance, automatismes, et du temps pour se préparer correctement physiquement sans s'épuiser, c'est à dire sans trop se bouffer les réserves dans des matches à répétition. Dans ces conditions là, je persiste, comme je le disais déjà il y à 4 ans pour la dernière Coupe du Monde, la France ou l'Angleterre, ça vaut les Blacks et les autres, et même potentiellement, mieux qu'eux.
Cette victoire du coeur, hier à Cardiff, m'a comblé pour son exemplarité. Il y avait là toutes les données qui font du rugby, à mes yeux, le plus beau, le plus grand des sports d'équipes. Dès le début, ce défi des français en ligne nez à nez avec les Blacks en plein Haka, les adversaires finissant à 20 cm visage contre visage, je n'avais jamais vu ça, et cela m'a arraché un OUUUUUUUIIIIIII d'exultation. Il fallait voir Vincent Clerc, petit ailier grimaçant et tirant la langue, littéralement habité d'une espèce de folie, d'envie de bouffer son vis-à-vis deux fois plus grand et costaud que lui. Dès ce moment, je savais que ce serait énorme. Ce fut énormissime.
Combien de grincheux ais-je pu lire sur les commentaires de sites webs après le match, râlant que le beau rugby Black se soit fait battre par des français hargneux. Mais qu'est-ce que le beau rugby ? Oui c'est le geste génial, les coups d'éclats, l'adresse balle en main, la chistéra magique et le cadrage-débord chaloupé, mais c'est tout autant le défi physique, les rucks de fous, les placages de oufs (176 placages français hier, contre 36 blacks !!!!), le souffle terrible de la mêlée et des mauls, c'est cette dimension terriblement humaine qui rend le rugby à 15 beaucoup plus profond et intense que le rugby à 13 ou à 7.
Et par-dessus tout, ce dépassement de soi, ce don total de sa personne qui fut plus grand chez les français que chez les néo-zélandais. C'est là que ça c'est gagné, quand les Blacks avaient une mêlée plus lourde de 60 kilos, ou qu'un ailier comme Rococoko mettait KO un Betsen dur au mal et réputé meilleur plaqueur de l'hémisphère Nord, après seulement 5 minutes de jeu ; ou qu'un Ali Williams pique 6 balles en touches françaises, ce genre de turn-over qui à ce niveau suffit en général pour atomiser un adversaire. Mais voilà, l'envie d'aller au bout des français était plus forte. Et moi, j'ai autant aimé ça que le génie French Flair de Traille et Michalak qui offrent l'essai de la victoire à Jauzion et aux bleus.
Si vous n'avez jamais fait un sport vraiment dur, et dans le dur, je ne suis pas sûr que vous compreniez complètement ce que je veux dire. Je me rappelle combien je me suis senti fier il y a une dizaine d'années, un dimanche matin de cyclosportive locale, ou après 80 kilomètres de course à fond avec un peloton leader d'une quarantaine de brutes, tous finirent par craquer sauf moi et deux autres, et comment je les ai atomisés dans la dernière côte, eux, les compétiteurs engagés tous les dimanches dans les courses amateurs (avec mes 65 kg de l'époque et un punch de dératé).
Et pourtant, ce n'est pas mon meilleur souvenir, loin de là. Mon plus grand souvenir est un jour de douleur, lors de l'Etape du Tour 1995, au milieu de 7000 participants, où j'ai connu une défaillance terrible dans la montée du Tourmalet, après avoir pourtant enquillé sans problèmes 100 km de Piémont Pyrénéen, puis Peyresourde et Aspin. Dans les 25 km de cette montée du Tourmalet, sous une chaleur impossible, j'ai connu une défaillance terrible. Plus de force, mal au ventre, des étoiles dans les yeux et je ne voyais même plus la route. Je me suis arrêté 5 ou 6 fois pour tremper ma tête dans l'eau glacée et faire baisser la température des tempes battant le sang. J'aurais pu bâcher là, attendre le "bus-balai", au milieu des milliers de supporteurs espagnols qui étaient déjà installés en camping car, pour attendre Indurain, en jaune le lendemain.
Mais voilà. Ma voiture étaient dans l'autre vallée, du côté de Lourdes, et j'ai continué, en souffrant et comptant les cailloux dans cette montée terrible et interminable, et en me maudissant tous les 100 mètres "c'est trop dur, t'es vraiment trop con, ce n'est pas un sport pour toi...". Et je suis arrivé au sommet du col. Je me suis requinqué dans la descente, que j'ai fais à fond, dans les bouts-droits à 90 km/heure vers Luz St-Sauveur. J'ai terminé très loin des premiers, arrêté au bas de la dernière montée, Luz Adriden, par la maréchaussée de service, pour cause de blocage de route encombrée de public (le russe Botcharov, qui est passé pro plus tard, était passé en premier 2 bonnes heures avant moi). Le lendemain matin, je devais prendre un avion à 6 heures, en route pour le boulot vers les US.
Et voilà, cela reste mon plus grand souvenir en tant qu'individu confronté à lui-même et à ses limites, que je ne connaissais pas. Jamais je n'ai eu autant mal de ma vie, mais je n'ai pas lâché. C'était ma victoire la plus importante. C'est encore aujourd'hui mon plus grand souvenir de cycliste. J'ai pensé à ça, quand j'ai vu ces français arc-boutés en défense sur leur ligne à Cardiff. Je les aimés pour ça, et en plus, ils ont gagné.
1 Comments:
On attend avec impatience un commentaire d'avant match. On l'espère plein d'envolées. Il ne reste plus que 2 jours. Un gars qui perd ses nerfs...
Enregistrer un commentaire
<< Home